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Rencontre éphémère...

 

 

Il n'y avait rien de plus désespérant pour Finolin. Un lutin perdu dans un bois ! Il aurait presque pu en rire, si ce n'était la gravité de leur situation. Depuis trois jours, lui et ses compagnons essayaient d'échapper à la troupe de Milfauçon... sans grand succès, il fallait bien l'avouer. Au final, Bartolde était devenu plus taciturne qu'à l'accoutumé. Il se retenait visiblement de faire ses reproches au lutin. « Perdu dans la forêt, un comble ! » avait-il juste grommelé.

Et maintenant qu'ils étaient au cœur du Bois Profond, alors que le jour ne faisait que se lever et que les feuilles parvenaient difficilement à stopper la pluie battante, les intrépides héros avaient bien du mal à garder espoir. Ils avaient froid, leurs jambes engourdies les portaient à peine, leurs vêtements avaient l'odeur du moisi et de la terre. À dire vrai, nul ne savait exactement où ils se trouvaient et vers où les menaient leurs pas.

 

 

 

Le Bois Profond était un lieu maudit pour tous les sylvestres. La légende racontait qu'il recelait en son cœur un Arbre-Roi dégénéré. Son écorce n'était plus qu'une enveloppe vidée de toute sève. Et pourtant, il dominait toujours la forêt. Ses feuilles rousses était le signe irréfutable qu'il refusait de mourir complètement. Plongé dans une dégénérescence automnale sans fin, il avait contaminé l'ensemble du Bois Profond pour satisfaire sa rancœur...

Et il avait fallu que Finolin et ses amis s'y rendent. Sous le prétexte d'échapper à la compagnie de Milfauçon, ils avaient plongé dans la gueule du loup. Sans doute que... Les pensées du lutin furent abruptement stoppées par la chute. Son nez alla directement à la rencontre d'une racine affleurante.

Bartolde se retourna et explosa : « Par tous les saints, Finolin ! Regarde un peu où tu marches ! C'est bien assez de devoir te traîner, alors fais plus attention ! ». Il marcha sur le lutin d'un pas décidé, une lueur assassine dans les yeux. Seule l'intervention de Marsken parvint à endiguer le flot de violence qui s'annonçait. Se mettant en travers de Bartolde, il tendit la main à Finolin. Le lutin se releva et eut tout loisir de voir Bartolde fulminer derrière le nain. Il porta la main à son nez et observa avec douleur sa paume pleine de sang. « Il s'est cassé le nez » observa Marsken. Bartolde ramassa une pierre et la jeta au loin, de toutes ses forces. « Maudite forêt ! J'aurais encore préféré faire face à Milfauçon et à ses sbires ! »

_ Ne dis pas de sottises, Bartolde, ils nous auraient exterminés en aussi peu de temps qu'il en faut à cette pierre pour retomber. » Ce furent les premières paroles d'Ayméric depuis bien longtemps. Mais il savait fort bien ce que pensait Bartolde : ils auraient au moins échappé à ce cauchemar. Il reporta son attention sur le lutin. Il était trop frêle. Les merveilleux talents des sylvestres n'étaient-ils donc que mythes ? Depuis qu'ils étaient dans la forêt, Finolin s'était avéré incapable de les aider. Pire, il était devenu un poids. Même en pleine nuit, il avait vu Finolin courir habilement en pleine forêt, esquivant branches et racines sans peine. Naturellement, il était capable de retrouver son chemin dans toutes les forêts de l'Harmonde. Toutes les forêts, sauf celle-ci ! En fait, il comprenait le raisonnement de Bartolde, pourquoi fuire, alors qu'un lutin les ralentissait et permettait à Milfauçon de les rattraper ? Au final, deux choix se présentaient à eux : soit s'arrêter et attendre les sbires de pied ferme, soit se débarrasser des encombrants… Ayméric, secoua la tête, il ne pouvait faire cela ! Son regard croisa alors celui de Finolin, le lutin semblait avoir suivi son raisonnement. Il se détourna.

Finolin avait bien cerné les pensées de Bartolde et d'Ayméric. À vrai dire, lui-même ne ressentait que rancœur à leur égard. De nombreuses fois, il leur avait été bien utile et désormais, ils réfléchissaient à la manière de se débarrasser de lui ! Il continua ainsi à chercher ses bésicles, à quatre pattes dans les feuilles mortes. Ses amis avaient cessé de parler, le silence devenait oppressant. Inquiet, Finolin releva la tête. Ce fut pour voir le Danseur d'Ayméric passer au-dessus de lui dans une pirouette. Instinctivement, il se projeta sur le côté. Une gerbe de flammes pulvérisa l'endroit où il se trouvait quelques instants auparavant.

Surpris, Marsken s'apprêtait à se jeter sur le Mage, mais Bartolde se mit en travers de son chemin, l'air déterminé. « Reste tranquille, Marsken, on n'a pas le choix. Finolin ne nous apportera que des ennuis, de toute façon ».Quant au lutin, il s'était relevé et était prêt à s'élancer. Un poignard se ficha dans son mollet. Ne pouvant retenir une exclamation, Finolin s'étala de tout don long. Sachant sa fin proche, il releva la tête. Ce qui devait être sa dernière vision l'enchanta. Il vit une fleur d'un orange vif, éclairé par un mince rayon de soleil. La seule dans cette forêt, sans doute. Un sourire illumina son visage. Ainsi, le printemps existait-il ici aussi…

Ses comparses avaient sans doute observé le phénomène car la mort ne vint pas. Devant ses yeux ébahis, la fleur ouvrit ses pétales. Une petite créature s'éveilla. Elle n'était pas plus haute que deux pouces et deux ailes lumineuses partaient de son dos. Elle observa le lutin avec ses grands yeux. Sa longue chevelure s'ornait de différentes teintes. Elle tendit sa petite paume vers le visage de Finolin et eut un petit soupir. Alors, une subtile nuée environna la trogne du lutin. Une odeur fraîche et acidulée l'envahit. Il en oublia sa douleur.

Avec grâce, la fée s'éleva dans les airs, laissant derrière elle un sillage lumineux. Les quatre compères la regardaient, émerveillés. Ils en oublièrent leurs soucis et leur discorde. Pour un fugitif instant, ils comprirent l'immensité de l'Harmonde. Pour un temps, ils saisirent l'influence pernicieuse qui avait saisi leur cœur. Mais pour un temps éphémère, seulement. Lorsque la fée s'évanouit dans les feuillages, l'obscurité retomba sur le Bois Profond. Et en leur âme aussi.

 

 

Le dessin est de Matthias Haddad.
Agone@Armance.net