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La pluie martelait le bitume...

 

 

La pluie martelait le bitume... Depuis une heure, l'orage avait assombri le ciel de Paris et inondait la capitale. Si personne n'aime vraiment se faire tremper jusqu'aux os, un être avait toutes les raisons de rester chez lui. Pourtant, il restait sous ce porche, statue dissimulée dans la grisaille métropolitaine. Son attirail métallique qui lui servait de bijou luisait faiblement lorsque la foudre frappait les sommets parisiens. Son manteau de cuir était imbibé par l'eau. C'était surtout cela que Métus avait du mal à supporter, cette humidité qui lui collait à la peau. Son regard aurait pu effrayer n'importe quel passant tant il était démoniaque : une aura rougeoyante émanait de ses yeux. Il fixait sans cesse une même fenêtre, au deuxième étage de l'immeuble qui lui faisait face...

 

Le Chevalier d'Airain appréciait la beauté de sa nouvelle acquisition : une gargouille gothique prélevée quelques jours auparavant sur le toit de l'église Saint-Séverin. Mais il savait que la véritable beauté de l'artefact demeurait cachée pour les profanes. Cette sculpture était une stase, l'une de ces prisons construites pour capturer l'essence magique des ennemis séculaires du Temple, ces démons que la Bible appelait Nephilim. L'obscur passage de la Genèse lui revint en mémoire : En ces temps là, quand les hommes se multipliaient, après qu'Adam eut quitté le Paradis, les Nephilim marchaient sur la Terre.

Depuis la fondation du Temple de la Vie, en Egypte, ses chevaliers avaient lutté contre ces créatures antérieures à l'Homme. La vérité était que le Temple les jalousait et désirait s'approprier leurs pouvoirs, inaccessibles aux simples mortels. D'où l'utilité de cette sculpture macabre. Mais le Chevalier savourait un plaisir autrement plus grand : l'une de ces créatures était tombée dans son piège. Maintenant, elle était aux mains de ses hommes, les Frères rose-croix du Temple. Le Maître serait content. Le Chevalier se détourna de la gargouille et quitta l'entrepôt. L'un de ces entrepôts déserts que l'on trouvait dans certaines zones industrielles de banlieue. Il s'engouffra dans la berline noire qui l'attendait et ordonna qu'on le ramène à Paris. L'orage n'avait toujours pas cessé. Le Chevalier appréciait l'ambiance d'apocalypse qui régnait, signe des temps à venir et de l'avènement de l'Ordre du Temple. Bientôt viendrait un nouveau monde dans lequel les misérables n'auraient pas de place. Un monde placé sous l'ombre de Tubalcaan réveillé. Des chapelets vinrent à ses lèvres... Non nobis domine, non nobis sed nomini tuo da gloriam... Un sourire illumina son visage, bientôt...

Arrivé devant son QG, le Chevalier posa son regard sur un vagabond réfugié sous un porche. Il détailla ses frusques trempées, ses cheveux hirsutes, ses piercings. En sortant, il donna l'ordre à son chauffeur de faire déguerpir ce chien galeux. Il entra dans l'immeuble en colère. Tous ces clochards, ces loubards, honte de la race humaine. Il entendit son chauffeur donner une correction méritée et pénétra dans l'ascenseur. Au deuxième étage, il utilisa le code prévu et sonna deux fois puis donna un coup sur la porte. Rémi lui ouvrit et il entra. L'appartement était peu décoré, il servait uniquement de poste de commandement. Une table entourée de quelques sièges, un téléphone, un scanner, un ordinateur portable et des matelas à même le sol composaient le mobilier. Quatre Frères restaient de faction pour surveiller l'Immortel. Celui-ci dormait sous l'effet de puissants somnifères. Les doses auraient normalement tué un être humain, mais les Nephilim étaient très résistants. Le Chevalier admira le corps de son prisonnier. Un homme d'une trentaine d'années aux cheveux blonds. Seuls ses ongles trahissaient sa nature: ils ressemblaient à des griffes tant ils étaient pointus. Sur la table se trouvait son dossier avec diverses photos et ses papiers d'identité: Rafael Navàs, un psychiatre. Ce dossier serait bientôt transféré au maître de l'Obédience Rosicrucienne de la Croix du Temple, dès que ses hommes auraient fouillé l'appartement du Nephilim. Il prit le téléphone et appela les hommes en faction devant ledit appartement.

" Ici Constantin, rien de neuf ?

_Non sire.

_Très bien attendez-moi, j'arrive. "

Constantin... il aimait ce pseudonyme. Il se décida à quitter le QG et rejoignit l'ascenseur. Arrivé en bas, il gagna sa voiture et ordonna au chauffeur d'aller dans le quartier du Marais.

 

 

 

Les hommes de Constantin attendaient l'arrivée de leur chef. L'un faisait le guet dehors à une station de bus, l'autre était à l'intérieur de l'appartement. Ce dernier regardait nonchalamment la télévision. Son talkie-walkie sonna, Constantin arrivait. Il éteignit rapidement le poste et réajusta sa tenue, le Chevalier aimait l'ordre.

 

Constantin fut rapidement rejoint par le Frère en faction dehors. Il constata avec colère qu'il n'y avait pas d'ascenseur. Et dire que l'appartement était au dernier étage! Les deux hommes s'engagèrent dans les escaliers. Ils atteignirent finalement le cinquième étage et la porte de l'appartement s'ouvrit.

 

La fouille était infructueuse, il n'y avait rien de compromettant, juste des livres de psychologie et de psychanalyse à côté des dictionnaires de médecine et des traités de psychiatrie. Constantin avait avec lui un étrange pendule en plomb et le faisait osciller à travers l'appartement, l'approchant de chaque objet suspect.

 

Un tel pendule était censé détecter la présence des flux magiques. Malheureusement, ses oscillations semblaient totalement anarchiques et les Frères rose-croix du Temple voyaient leur chef s'impatienter. Au bout d'une heure pourtant, l'un d'eux découvrit une trappe menant sous les toits de l'immeuble. Enfin une découverte... Les trois templiers se retrouvèrent dans un véritable laboratoire d'alchimie. Le sol était recouvert d'un dallage ocre afin d'éviter tout risque d'incendie. Les murs capitonnés insonorisaient la pièce. On découvrait tout l'attirail traditionnel de l'alchimiste. Une forge éteinte, des pinces, des forces, des happes, des lingotières, un creuset de terre rousse et flammée, des récipients en forme d'œuf. Un alambic de cuivre entouré de fioles et de cornues. Et dans un coin, une étagère vitrée conservait des livres à l'aspect précieux et ancien. Constantin frémissait de contentement, son pendule était attiré par ce capharnaüm pittoresque. De nouveaux trésors allaient rejoindre la collection du Vénérable, le maître de son obédience. Il prit son téléphone afin d'appeler des renforts pour tout déménager mais personne ne répondit. Un frisson parcourut le corps du Chevalier. Il composa un autre numéro, réservé aux cas d'urgence, mais il n'eut pas le temps de l'achever. Une douleur fulgurante le plia en deux, tous les muscles de son ventre se contractèrent violemment, formant un nœud au niveau du nombril. Cette sensation lui arracha un gémissement et il eut juste le temps d'entendre un bruit sourd métallique que son compagnon s'écroulait au sol avec une partie du crâne arrachée. Un silencieux... Constantin sombra dans l'inconscience après avoir reconnu son agresseur : le vagabond aux cheveux hirsutes...

 

 

 

Rémi observait silencieusement le prisonnier. Pourquoi Constantin attachait-il tant d'importance à ce qu'il reste inconscient ? Il avait juste dit que cet homme était très dangereux. Rémi se doutait bien qu'on lui cachait des choses. Mais c'était normal, après tout, il n'avait rejoint l'Obédience que récemment. Cela ferait bientôt deux ans. Au début, il avait cru rejoindre une organisation proche de la franc-maçonnerie mais basée sur l'honneur, la loyauté et la fraternité et non sur l'affairisme et la corruption. Telle était du moins sa vision des choses. Puis Rémi avait découvert, après sa période d'essai comme Initié du Bâton secret, que l'Obédience cachait en fait un réseau dépassant le cadre d'une simple loge. Il avait alors découvert que l'Ordre des Templiers existait toujours, mais caché de la vue des profanes. Son but : créer un monde où l'on pourrait faire confiance à son prochain, un monde empreint de la spiritualité des chevaliers et soumis à la règle du Temple, un monde uni sans guerre et sans politiciens corrompus. Il était devenu Frère et il consacrait sa vie au Temple. Bien sûr, il savait que l'Ordre avait des ennemis, des hommes qui se délectaient de la corruption de la société. Le prisonnier en faisait partie. Rémi sortait d'une école d'ingénieur et rien ne le prédisposait à devenir membre d'une fraternité chevaleresque. Mais ses aspirations le poussaient à vouloir une société plus juste, plus fraternelle. Le Temple offrait une telle opportunité. Peut-être que le chemin serait parfois jonché de cadavres, mais l'esprit de sacrifice et d'abnégation était nécessaire. Quant aux ennemis du Temple, ils devenaient les ennemis de l'humanité et leur mort était un obstacle de moins pour tendre vers une société de lumière.

 

Quelqu'un frappa à la porte selon le code. Rémi observa par le judas et aperçut un noir au regard dur, il portait un complet marron recouvert d'un manteau noir. Rémi remarqua un symbole templier sur le revers. Il hésitait pourtant à ouvrir, il ne le connaissait pas et Constantin n'avait laissé aucune instruction. Il préféra la prudence.

 

" Qui êtes-vous ?

_Geoffroy, laisse-moi entrer, frère. Je viens de l'Orient.

_Quel est le symbole ?

_Le Bâton et les attributs du Temple.

_Quels sont le chiffre et la couleur ?

_Le chiffre est trois et la couleur est rouge.

Rémi se sentit soulagé, seul un initié pouvait connaître les réponses. Néanmoins, il fallait rester prudent.

_Non nobis Domine, non nobis...

_sed nomini tuo da gloriam. Fais moi entrer dans le secret, frère. "

 

La porte s'ouvrit. Devant Arkel se tenait un humain de stature moyenne qu'un entraînement poussé rendait athlétique. "Je suis Frère Rémi, entrez". Arkel sourit, l'accueil eut pu être plus chaleureux sans le revolver pointé sur lui. Il remarqua tout de suite que le Templier n'avait presque aucune expérience martiale. Derrière lui se tenaient trois hommes en attente. Ce serait un jeu d'enfant... Au moment d'entrer, il s'abaissa brusquement et une épée s'abattit sur Rémi. Celui-ci s'effondra dans un gargouillis immonde. Les trois templiers se jetèrent sur Arkel avec des couteaux. Le Nephilim réagit à la vitesse du vent. Il fit feu sur deux hommes, les détonations furent étouffées par le silencieux. Arkel n'aimait guère cet ustensile qui gâchait son plaisir, mais la discrétion était de rigueur, et puis il pourrait toujours se rattraper sur l'odeur de poudre. Le troisième templier le frappa en pleine poitrine, un bruit mat se produisit et l'assaillant n'eut pas le temps d'enchaîner car une épée se ficha dans son cœur, la mort fut instantanée contrairement à celle des deux autres qui gémissaient sur le sol. Arkel les acheva rapidement. Il se retourna ensuite vers le porteur de l'épée salvatrice. C'était un être qui frisait les deux mètres de haut, portait une longue bure noire dont la capuche masquait le visage. Néanmoins, une lueur bleutée s'en échappait. Dans une langue inconnue des hommes, Arkel remercia la créature avant de la congédier. Elle disparut alors dans un nuage lumineux et une odeur d'encens. Il était du destin de tels êtres, qui vivaient sur un monde étranger, de ne rester que fugitivement dans le nôtre.

 

Le téléphone de l'appartement sonna, Arkel tourna les yeux vers l'appareil puis décida d'ignorer l'appel. Il reporta rapidement son attention sur l'appartement. Il découvrit, stupéfait, la présence de l'un de ses frères, un Sphinx, Nephilim vivant d'énigmes et de mystères. Il subtilisa les dossiers et le portable. Alpha, son amie informaticienne, saurait percer les codes qui protégeaient sûrement les fichiers. Le plus dur était de ressortir avec le Sphinx. Il appela Métus et lui demanda de le rejoindre. Métus... un être étrange que la Quête avait laissé sur le bas-côté. Ce Nephilim était dangereux pour son entourage tant il était imprévisible. Mais Arkel avait besoin de lui, tous les deux s'étaient trouvés côte à côte dans cette affaire et il venait de faire la preuve de son utilité en capturant le chef des templiers. Maintenant, un troisième larron venait de les rejoindre, certes il ne le savait pas encore, dans son état.

 

Arkel avait fait de sa Quête une lutte, une lutte contre le Temple. Il assista à sa création durant la révolte contre la mainmise du clergé d'Amon-Ra sur les secrets de la Vie ; à sa chute partielle en 1307 et à son nouvel avènement aujourd'hui. Il avait fait le serment de ne jamais cesser la lutte, et le serment fut respecté tout au long de ses incarnations. Même si aujourd'hui, son appartenance à la Fraternité du Chant de la Terre ne lui permettait plus le même acharnement, son serment ne serait pas renié. Personne, à part lui, ne saurait dire à quelle occasion il fut prononcé. Sans doute remontait-il à la XVIIIe dynastie d'Egypte, époque bénie qui s'acheva par la chute d'Akhenaton et la rupture du Compact liant les Egyptiens aux Nephilim. Epoque où les dieux marchaient parmi les hommes et sommeillaient en leurs temples. De cette époque, une image hantait Arkel, celle d'une ombre portant un glaive et s'étendant sur les ruines du Temple de Tubalcaan, son ombre... Arkel était un Djinn, un être tout entier tourné vers le combat, violent comme les flammes d'un brasier. La destruction, la mort, la guerre étaient les compagnes du Nephilim. Et le sang, l'écume qu'il laissait derrière lui. Il se souvint avec nostalgie comment il mena les croisés à la mort en 1307, dans une charge suicide contre les musulmans. Bien sûr, il y avait perdu la vie, et alors ? Qu'était donc la vie d'un homme qu'il possédait, d'un simulacre? Aujourd'hui, pourtant, Arkel était attaché à son corps d'emprunt, car chaque réincarnation, en plus d'être douloureuse, freinait son avancée vers Agartha, l'illumination tant rêvée par les Nephilim, leur raison de vivre.

 

Arkel fut tiré de ses pensées par Métus qui venait d'arriver. Il l'observa attentivement, c'était un Djinn comme lui, mais il avait perdu la flamme sacrée. Il avait perdu le goût de la lutte. Un déchet, pensa Arkel, je connais des Onirim qui valent mieux que lui. Aujourd'hui cependant, Métus avait fait preuve de sa valeur. Cette obédience avait volé sa stase, son objet-prison et il devait la retrouver avant que les Templiers n'en fassent un usage maléfique. Les deux Djinn se saisirent du Sphinx et le portèrent jusqu'au rez-de-chaussée, Métus se précipita à la voiture pendant qu'Arkel amenait le Sphinx. Ce dernier était, sous l'effet des drogues, en état de Chakra. Son énergie s'était repliée au niveau du plexus solaire de l'humain. Triste sort qui ne pouvait s'achever que par la mort du simulacre et la libération du Ka du Nephilim, ou bien par le réveil du simulacre. Arkel le plaça à l'arrière de la voiture. Il savait que le chef des templiers se trouvait dans le coffre, sûrement en piteux état mais en vie et suffisamment en forme pour pouvoir parler. La voiture démarra et fila vers la cachette de Métus.

 

 

 

Constantin s'éveilla avec un mal de crâne épouvantable, les muscles de ses yeux étaient douloureux. Il était attaché à une chaise dans une pièce obscure. Des odeurs infectes lui faisaient tourner la tête. Trois ombres se tenaient devant lui "Bienvenue dans le royaume des vivants, Constantin" murmura l'une d'elles. Comment connaissent-ils mon nom ? se demanda-t-il avant de se rendre compte que les dossiers révélaient son code.

" Non nobis Domine...

_Voilà qu'il s'y met lui aussi ! ", railla une voix tonnante, " écoute-moi bien, monsieur le chevalier, tu as caché deux objets importants à nos yeux. Le problème est que je n'ai aucune envie de jouer aux devinettes, ni de t'écouter chanter des berceuses. Alors voilà, je vais être directe, je te pose une question : tu ne réponds pas, je te brise un doigt ; tu mens, je te le coupe. Pour que tu sois sûr que je ne plaisante pas, je commence ". Une ombre s'approcha, le contourna et lui saisit sa main droite. Une douleur atroce fit suite à un craquement sinistre. Constantin ne put réprimer un hurlement. Le hurlement se transforma lentement en gémissement. L'esprit de sacrifice, d'abnégation, quitta subitement Constantin. Tout son enseignement n'était que théorique, il n'avait jamais réellement appris à faire face à une telle situation. Il avait toujours cru que sa foi l'aiderait, il avait eu tort. Le retour sur terre était douloureux, au sens propre.

 

" Au fait la question est... mais tu la connais, n'est-ce pas ? ", Constantin fit ce qu'il était raisonnable de faire, il parla. En échange de sa vie, il situa l'entrepôt utilisé par l'Obédience Rosicrucienne de la Croix du Temple. Le regard perçant de son questionneur lui fit passer toute envie folle de mentir. Au fond, il ne savait pas vraiment à qui il avait à faire. Pour lui, les Nephilim étaient toujours restés une abstraction. Mais à ce moment il ne douta pas un instant que celui-ci pouvait démêler les mensonges de la vérité. Il avait raison, mais il n'eut jamais l'occasion de se réjouir de cette intuition. Le sang était l'écume qu'Arkel laissait derrière lui. Constantin mourut vite, au grand déplaisir de Métus, beaucoup moins humaniste.

 

Quant à Chimères, il savait mieux que quiconque que le Sphinx pouvait-être cruel comme le chat. Sa stase devait lui revenir. Qui sait ce que les Templiers en feraient ? Bien sûr, il avait la réponse, mais il préférait ne pas y penser. De retour de voyage, il avait appris par Théophile que sa stase avait été enlevée. L'église Saint-Séverin étant en rénovation, son ami poète avait d'abord cru que cela faisait partie du programme. C'était faux... Chimères mena son enquête pour découvrir qu'un ingénieur travaillant pour le Ministère de la Culture avait inspecté le site. Dès lors, le Sphinx n'eut aucun mal à retrouver les ravisseurs de sa prison. Cet ingénieur n'était autre que Constantin, alias Alain Simonucci. Mais Chimères fut piégé par le Temple et capturé. C'était résumer schématiquement la fin de son aventure, mais cela revenait au même. Il restait encore un problème majeur, l'Obédience devait sûrement être au courant de son évasion et il fallait agir vite avant qu'elle ne transfère les stases dans un autre lieu.

 

Le Vénérable gardait les yeux rivés sur sa fenêtre, d'ici il pouvait observer les moindres détails de la Tour Saint-Jacques. A chacune de ses profondes inspirations son visiteur se tassait un peu plus dans son fauteuil.

" Les assaillants seront retrouvés, Maître, ce n'est qu'une question de temps. Surtout grâce aux contacts que la Loge Parfaite du Bâton dispose dans la police ". Cette dernière phrase était vraiment de trop, l'Obédience était déjà assez compromise sans avoir à demander l'aide de la Loge. Elle venait de perdre un Nephilim, c'est à dire une source inestimable d'énergie, et cet imbécile suggérait de permettre à la Loge de mettre la main sur cette source ?

" Il est absolument hors de question de laisser le reste de la Commanderie s'intéresser à cette affaire interne. Vous avez déjà fait une erreur en vous faisant prendre de vitesse par la police, n'en rajoutez pas ". La sentence était lourde de menaces, le Grand-Croix savait désormais qu'il jouait ses dernières cartes.

" Nous avons suivi les procédures de sécurité habituelles, Maître. La capture était récente. Nos ennemis ont agi avec une rapidité fulgurante. Heureusement la police n'est pas tombée sur nos dossiers.

_Bien sûr ! Vous préférez que ce soit nos ennemis qui les possèdent. Comment avez-vous pu laisser Constantin s'occuper de cette affaire ? Vous auriez dû assurer vous-même la surveillance du Nephilim plutôt que de la lui confier. Il n'était pas suffisamment formé pour accomplir cette mission, il aurait pu le tuer et lui permettre de s'incarner dans l'un des nôtres. Entre voler un artefact et capturer l'une de ces créatures, il y a une différence. Vous êtes responsable sur votre tête de cet échec, n'essayez pas de rejeter cette responsabilité sur un ignorant. Nous devons agir vite et seuls. Il faut empêcher ses alliés de récupérer la gargouille. Disposez ! " Le Grand-Croix se leva sans un mot et s'éclipsa en un clin d'œil, tête baissée...

 

Arkel observait le bâtiment avec attention. C'était un entrepôt appartenant à une société du nom de C.T.O. Il n'était pas dupe, cette enseigne était sans aucun doute une ferme. C'était le nom utilisé par le Temple pour désigner les organismes et les hommes qu'il contrôlait grâce à des moyens divers. Les lettres carmines se détachaient nettement de la façade grise. Il détourna les yeux et examina le van qu'il avait loué. A l'intérieur, deux Ministres implacables attendaient les ordres de leur invocateur. Ces créatures lui étaient vraiment très utiles parfois, même si elles manquaient singulièrement de discrétion. A ses côtés se tenait Chimères, accroupi. Son corps avait changé : des crocs déformaient ses lèvres, ses ongles avaient achevé leur métamorphose en griffes meurtrières et ses yeux luisaient dans la nuit comme ceux d'un félin. Arkel ne doutait pas que cette transformation résultait d'une quelconque formule alchimique opérée sur le simulacre. On pouvait vraiment parler de sublimation. Méfiez-vous des Sphinx. Arkel connaissait le proverbe. Si au premier abord on pouvait le voir comme un érudit exubérant, le Sphinx savait rapidement, en cas de danger, laisser parler son côté fauve. Quant à Métus, il s'était occupé du vigile qui surveillait la zone industrielle. Du vigile et de son chien. Il était temps de passer à l'action !

 

Arkel traça un pentacle complexe sur le bitume à l'aide d'une craie. Il entama ensuite une litanie qui aurait pu passer pour une prière si la langue n'était pas inconnue des oreilles humaines. Sept sphères enflammées apparurent dans le pentacle à un mètre du sol. Elles s'élevèrent progressivement et se placèrent autour de leur invocateur en tournoyant lentement. Arkel s'approcha de l'entrée de l'entrepôt. D'un geste il envoya les sept sphères contre le portail de taule. Sept explosions résonnèrent, des flammes jaillirent et le métal brûlant fut froissé comme du papier. Une ouverture béante était apparue. Arkel s'avança dans l'entrepôt lorsqu'une ombre surgit d'un coin, elle fit feu sur le Djinn qui chancela sous la force de l'impact. Un fusil de chasse! Il vit alors Chimères bondir dans les airs, se rétablir sur le tireur et lui labourer le visage de ses griffes. Le Djinn se releva et remercia intérieurement l'armure chitineuse rouge qui le protégeait.

 

Métus rejoignit ses compères, ses yeux brillaient d'une aura écarlate. Il observa le hangar dans son entier. "C'est bon, il n'y pas d'autre organisme vivant, à part quelques rats." Ses yeux reprirent un aspect normal et il alla chercher le van pour l'approcher de l'entrée. Arkel alluma la lumière. De nombreuses étagères en acier étaient alignées devant lui. Elles étaient vides. Seule une caisse imposante était posée dans un coin. Le corps de Chimères fut agité par un spasme et ses yeux se révulsèrent un instant. Lorsque le spasme cessa, Chimères sourit et ronronna. Il avait trouvé ce qu'il cherchait. Dans cette caisse était dissimulée une gargouille. Il fallait agir très vite, la police n'allait pas tarder à arriver. Arkel et Métus se saisirent de la caisse. Tous les deux étaient doués d'une force surhumaine. Arkel se concentra néanmoins, il laissa le feu submerger son corps et investir ses muscles. La caisse fut aisément arrachée du sol et transportée jusqu'au van. C'est presque trop facile. Métus se mit ensuite à rechercher sa propre stase, mais elle demeurait introuvable. Un cri de rage éclata alors que quatre véhicules s'approchaient, phares éteints, de l'entrepôt. Chimères et Arkel les remarquèrent simultanément. La partie n'était pas encore gagnée.

 

Trois hommes surgirent de chaque voiture. D'un ordre bref, Arkel ordonna à ses Ministres implacables d'agir. Deux formes jaillirent de l'arrière du van, des formes hautes revêtues de bure noire et portant chacune une longue épée à deux mains. Métus pointa un doigt accusateur sur l'un des nouveaux arrivants, celui-ci se plia en deux sous l'effet d'une douleur subite. C'est la seconde mort, c'est l'Etang de feu. Quiconque n'étant pas inscrit au Livre des Justes sera jeté dans les Flammes. Ces paroles d'apocalypse eurent l'effet qu'Arkel escomptait : l'une des voitures s'enflamma. Lorsque la réserve de carburant fut atteinte par les flammes, la voiture explosa et trois templiers furent soufflés. Chimères lança une bille de couleur rose sur le sol. Instantanément, un lichen grisâtre se répandit, il grouillait et semblait en vie. Lorsque le lichen atteignit les templiers, de multiples petites mâchoires mordirent leurs jambes, provoquant une douleur intolérable. Les Ministres n'eurent aucun mal à se défaire de leurs assaillants et ils furent rapidement rejoints par Métus qui brandissait deux poignards. Malgré les blessures qui zébraient son corps, il continuait sa danse de mort. Seuls deux coups de feu mirent fin à sa prestation. Mais rapidement, le tireur sentit un liquide chaud couler de ses oreilles, de son nez et de ses yeux. Il baissa les yeux et vit du sang se répandre sur ses habits. Il hoqueta de stupéfaction et de frayeur et eut juste le temps de voir une forme féline fondre sur lui que sa gorge s'ouvrait en quatre tranchées profondes. Il ne restait plus que quatre templiers. Ceux-ci décidèrent de reporter toute leur attention sur Chimères. Ils durent pourtant composer avec les deux créatures armées d'épées qui semblaient invulnérables et avec Arkel, armé d'un revolver. Le combat était inégal, les templiers n'eurent même pas le temps de penser à fuir. Face à des êtres forgés pour le combat comme le Djinn et ses créatures, ces hommes inexpérimentés n'avaient aucune chance. Le Sphinx sut une fois encore faire preuve de son agilité féline et de sa vivacité meurtrière au corps à corps. Arkel admira ses talents, ce Nephilim avait dû passer quelque temps en Asie, à une époque où les arts martiaux ne servaient pas à défouler les jeunes mortels mais bien à tuer un adversaire.

 

Chimères reporta son attention sur Métus, il n'était pas dans un état dramatique. Dès qu'il en aurait le temps, il invoquerait des créatures qui pourraient le guérir. Mais pour l'instant, il fallait fuir au plus vite. Les trois Nephilim montèrent dans le van et Arkel démarra. Il se dirigea vers le sud de la France. Mieux valait se faire oublier et il connaissait bien quelqu'un qui, il l'espérait, pourrait les accueillir. Ainsi, Métus pourrait se reposer. Quant à Chimères, il valait mieux qu'il se cache quelque temps, juste afin d'être sûr que le Temple avait perdu sa trace. Arkel, lui, devait prendre contact avec Alpha afin de pouvoir accéder aux fichiers contenus dans le portable. Il devrait donc remonter sur Paris rapidement. Une petite fée lui murmurait à l'oreille que ces fichiers permettraient de continuer sa chasse. La stase de Métus serait retrouvée.

Le van se mit donc en route pour la Provence, il croisa plusieurs voitures de police. Un orage éclata. La pluie martelait le bitume...

 

 

Ordre Rosicrucien de la Croix du Temple
Nephilim@Armance.net